Les appels de Dieu

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« Le Seigneur vint et se tint présent. Il appela comme les autres fois :

« Samuel ! Samuel ! » et Samuel répondit :

« Parle, car ton serviteur écoute »» (1 Sam 3, 10).

Dans le récit dont ces mots font partie, nous avons un exemple remarquable d’un appel de Dieu et de la façon dont il est de notre devoir de lui répondre. Samuel fut, quand il était tout enfant, emmené dans la maison du Seigneur et il fut, le moment venu, appelé à un office sacré et accrédité comme prophète. Il fut appelé et il répondit aussitôt à l’appel. Dieu dit : « Samuel ! Samuel ! » Tout d’abord il ne comprit pas qui l’appelait ni ce qu’il voulait dire, mais en allant près d’Élie il apprit de lui qui parlait et la réponse qu’il devait faire. Aussi, quand Dieu appela à nouveau, répondit-il: «Parle, Seigneur, car ton serviteur écoute. » Voici un modèle de prompte obéissance.

Très différentes furent les circonstances dans lesquelles saint Paul fut appelé, mais elles ressemblent à celles où le fut Samuel en ce que, lorsque Dieu appela, il obéit promptement lui aussi. Lorsque saint Paul entendit la voix qui venait du Ciel, il dit aussitôt, tremblant et frappé de stupeur : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » (Ac 9,6) La même disposition à l’obéissance est explicitement ou implicitement affirmée dans les deux relations qu’il fait lui-même de sa conversion miraculeuse. Dans le vingt-deuxième chapitre il dit : « Et je dis : « Que ferai-je, Seigneur ? » » Et dans le vingt-sixième, après avoir rapporté au roi Agrippa ce que la voix divine lui avait dit, il ajoute, ce qui revient au même : « Dès lors, roi Agrippa, je n’ai pas été rebelle à la vision céleste. » Tel est, dans le cas de saint Paul, la relation qui nous est faite de la manière dont au commencement Dieu le combla de Ses grâces, qui le conduisirent à son salut éternel. « Ceux qu’il a prédestinés, Il les a aussi appelés » – tel fut le premier acte qui eut lieu dans le temps – « ceux qu’il a appelés, Il les a aussi justifiés ; ceux qu’il a justifiés, Il les a aussi glorifiés.» (Rm 8, 30) Tel est l’enchaînement des miséricordes divines, et vous voyez que ce fut la prompte obéissance de la part de saint Paul qui prolongea le premier acte de la grâce divine dans le deuxième, qui lia la première miséri­corde à la deuxième. «Ceux qu’il a justifiés, Il les a aussi glorifiés. » Saint Paul fut appelé lorsque le Christ lui apparut sur son chemin ; il fut justifié lorsqu’Ananie vint le baptiser, et ce fut la prompte obéissance qui le conduisit de l’appel au baptême. « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » La réponse fut : « Relève-toi, entre dans la ville, là on te dira tout ce qu’il t’est prescrit de faire.» (Ac 22.10) Et lorsqu’il arriva à Damas, Ananie lui fut envoyé par ce même Seigneur qui lui était apparu, et il le rappela à saint Paul lorsqu’il vint à lui. Le Seigneur était apparu quand il fut appelé ; le Seigneur apparut lorsqu’il fut justifié.

Telle est donc la leçon que nous enseigne la conversion de saint Paul : il faut obéir promptement à l’appel. Si nous lui obéissons, que la gloire en revienne à Dieu, car il opère en nous. Si nous n’obéissons pas, que toute la honte nous en revienne, car le péché et l’incroyance opèrent en nous. Les choses étant ce qu’elles sont, efforçons-nous d’agir conformément à elles – ayons la plus grande crainte de ne pas obéir à la voix de Dieu quand II nous appelle et, si effectivement nous lui obéissons, ne nous en attribuons pas l’honneur ni le mérite. Telle est depuis toujours la disposition dans laquelle ont été tous les saints – travaillant à leur salut avec crainte et tremblement (Cf. 2 Co 7,15, Ph 2,12) et attribuant néanmoins cette œuvre à Celui qui a fait en sorte qu’ils veuillent et qu’ils fassent Son bon plaisir – obéissant à l’appel et rendant grâce à Celui qui appelle, Celui qui accomplit en eux leur vocation. J’en ai assez dit sur le modèle qui nous est donné par saint Paul.

Très différentes furent les circonstances dans lesquelles Samuel entendit l’appel lorsqu’il se trouva, enfant, dans le Temple, mais elles ressemblent néanmoins à celles que connut saint Paul en ce que, pour notre instruction, la circonstance dans laquelle il Lui obéit est claire­ment indiquée par les mots mêmes que, selon le texte de ce sermon, Élie mit sur ses lèvres. Élie lui apprit ce qu’il devait dire lorsqu’il serait appelé par la voix divine. En conséquence : « Le Seigneur vint et se tint présent. Il appela comme les autres fois : « Samuel ! Samuel ! » et Samuel répondit : « Parle, car ton serviteur écoute ». »

Telle a aussi été la disposition d’esprit du poète sacré David dans le vingt-septième psaume : « Lorsque Tu as dit : « Cherche Ma face, » mon cœur T’a dit : « C’est Ta face, Seigneur, que je cherche » (Ps 27,8) »

Et cette disposition qui, dans les exemples que je viens de donner, est illustrée par les paroles prononcées, est, dans le cas de nombreux autres saints dans l’Ecriture, montrée à la fois par les paroles et par les actes ; inversement, elle est illustrée négativement en ce qu’elle a été négligée dans le cas de beaucoup d’autres personnages qui y sont men­tionnés, et qui auraient pu entrer dans la vie (Cf. Mt 19,17) et ne l’ont pas fait.

C’est ainsi que nous lisons, à propos des apôtres, que «Jésus, comme II cheminait le long de la mer de Galilée, aperçut deux frères, Simon – celui qu’on appelle Pierre – et André son frère, qui jetaient l’épervier dans la mer; car c’étaient des pêcheurs. Il leur dit: « Venez à Ma suite, et Je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant là leurs filets, ils Le suivirent. » Et encore : quand II vit Jacques et Jean avec leur père Zébédée, « Il les appela. Aussitôt, laissant leur barque et leur père, ils Le suivirent. » (Mt 4, 18-122) Et de même, pour saint Matthieu, au bureau de la douane: «Il lui dit: « Suis-Moi ! » Et, se levant, il Le suivit. » (Cf Mt 9,9).

Et il nous est encore dit dans l’Évangile selon saint Jean : «Jésus se proposait de partir pour la Galilée ; Il rencontre Philippe et lui dit : « Suis-Moi! »» (Cf. Jn 1,43) Et encore : «Philippe rencontre Nathanaël» et de même il lui dit : « Viens et vois. » « Jésus vit venir Nathanaël et dit de lui : « Voici un véritable Israélite, un homme sans artifice » » (Cf. Jn 1, 46-47).

À l’inverse, le jeune homme riche se déroba à l’appel et trouva ce langage trop fort (Cf. Jn 6,60) : «Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor aux cieux ; puis viens, suis-moi ». Quand il entendit cette parole, le jeune homme s’en alla contristé, car il avait de grands biens. » (Mt 19, 21.22) D’autres, qui semblaient hésiter, ou plutôt qui demandaient, pour des raisons humaines, un bref délai, furent réprimandés à cause de leur manque de promptitude dans l’obéissance – car le temps n’attend personne ; l’appel est lancé, et puis il est passé ; si nous ne saisissons pas l’instant, l’instant est perdu. Le Christ était sur Sa route qui conduit au Royaume des Cieux. Il chemi­nait le long de la mer de Galilée (Mt 4,18) ; Il «vit en passant» (Mt 9,9) ; «En passant, Il aperçut Lévi (Mc 2,14) » ; Il ne s’arrêta pas; tous devaient s’unir à Lui, ou bien ensuite II en appellerait d’autres (Mt 20,6,7). «Il dit à un autre : « Suis-moi. » Celui-ci répondit: « Permets-moi de m’en aller d’abord enterrer mon père. » Mais II lui répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts ; pour toi, va-t’en publier le Royaume de Dieu. » Un autre encore Lui dit: « Je te suivrai, Seigneur, mais permets-moi d’abord de prendre congé des miens. » Mais Jésus lui répondit : « Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu »». (Lc 9,59-62)

Les circonstances dans lesquelles le grand prophète Elisée fut appelé ne sont pas sans ressemblance avec les exemples que je viens de donner, bien qu’il ne paraisse pas avoir été blâmé par Élie pour s’être attardé par souci de ceux qu’il quittait : « Il trouva Elisée fils de Shapat, tandis qu’il labourait […]. Élie passa près de lui et jeta sur lui son man­teau. » Élie ne s’arrêta pas ; il continua sa route et Elisée fut obligé de courir pour le rejoindre. « Il abandonna ses bœufs, courut derrière Élie et dit: « Laisse-moi embrasser mon père et ma mère, puis j’irai à ta suite. »» Le prophète lui permit de le faire et ensuite Elisée « se leva et suivit Élie comme son serviteur» (Cf. 1R 19, 19-21).

Ou bien considérons une fois encore les circonstances dans les­quelles fut appelé Abraham, le père de tous les croyants. Il fut appelé à quitter la maison de son père, mais sa destination ne lui fut pas indiquée. Saint Paul eut l’ordre d’aller à Damas, et c’est là seulement qu’il devait recevoir d’autres instructions. De même Abraham quitta son pays pour un «pays que je t’indiquerai» (Gn 12.1), dit Dieu tout-puissant. Il partit donc «ne sachant où il allait» (Cf. He 11,8). «Abraham partit, comme lui avait dit le Seigneur» (Cf. Gn 12,4).

Tels sont dans l’Écriture les exemples d’appels divins, et ils ont en commun cette caractéristique : enjoindre une obéissance immédiate, et nous appeler nous ne savons pas à quoi ; ils nous appellent, nous aussi, à nous avancer dans le noir. Seule la foi peut obéir à ces appels.

Mais, est-il possible d’objecter, en quoi cela nous concerne-t-il maintenant ? Nous avons tous été appelés, dans notre petite enfance, à servir Dieu, avant que nous ne puissions obéir ou désobéir ; nous nous sommes sentis appelés lorsque la raison a commencé à poindre en nous ; nous avons été appelés à accomplir notre salut, nous avons vécu en serviteurs et enfants de Dieu, pendant tout notre temps d’épreuve, y ayant été engagés pendant la petite enfance par le saint baptême, selon la décision de nos parents. Pour nous l’appel n’est pas quelque chose qui s’inscrit dans le futur, mais dans le passé.

Cela est indéniablement vrai, et pourtant il est également vrai que les passages de l’Écriture que j’ai cités s’appliquent encore à nous – ils nous concernent effectivement, et peuvent nous servir d’avertisse­ments et de guides de bien des manières importantes, ainsi que quel­ques mots suffiront à le montrer.

Car en vérité nous ne sommes pas appelés une fois seulement, mais de nombreuses fois : tout au long de notre vie le Christ nous appelle. Il nous a appelés pour la première fois dans le baptême, mais II a ensuite continué de le faire ; que nous obéissions ou non à Sa voix, Il nous appelle encore par l’effet de Sa grâce. Si nous sommes indignes de notre baptême, Il nous appelle au repentir ; si nous nous efforçons d’accomplir notre vocation, Il nous appelle de grâce en grâce, et de sainteté en sainteté, tant que la vie nous est accordée. Abraham fut appelé à quitter sa maison, Pierre ses filets, Matthieu son bureau de douane, Elisée sa ferme, Nathanaël sa retraite ; nous sommes tous en train de répondre à un appel et de quitter une chose pour une autre, interminablement, n’ayant nul lieu où nous reposer, mais nous élevant vers notre repos éternel et n’obéissant à un commandement que pour qu’un autre nous soit prescrit. Le Christ nous appelle maintes et maintes fois, afin de maintes et maintes fois nous justifier – et à nouveau maintes fois, et de plus en plus, afin de nous sanctifier et de nous glorifier.

Il serait bon que nous comprenions cela, mais nous sommes lents à nous pénétrer de la grande vérité qui est que le Christ marche, pour ainsi dire, parmi nous et, de Sa main, ou de Son regard, ou de Sa voix, nous commande de Le suivre. Nous ne comprenons pas que Son appel est quelque chose qui se produit maintenant. Nous pensons qu’il s’est produit au temps des apôtres, mais, dans notre propre cas, nous n’y croyons pas, nous ne sommes pas aux aguets. Nous n’avons pas d’yeux pour voir le Seigneur; très différent était l’apôtre bien-aimé, qui reconnut le Christ quand les autres apôtres ne le reconnurent pas. Lors­qu’il se montra sur les bords de la mer de Tibériade après Sa résurrec­tion et leur commanda de jeter le filet, « le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : « C’est le Seigneur ! » » (Jn 21,4-7).

Voici ce que je veux dire : il arrive de temps en temps que des vérités, inconnues auparavant de ceux qui vivent religieusement ou auxquelles ils n’avaient pas besoin de prêter attention, se présentent de force à eux – des vérités qui entraînent des devoirs, et sont en fait des préceptes, auxquels il faut obéir. C’est de cette façon, et de certaines autres qui en sont proches, que Jésus nous appelle aujourd’hui. Il n’y a rien de mira­culeux ni d’extraordinaire dans la manière dont II agit envers nous. Il opère à travers nos facultés naturelles et selon les circonstances de notre vie. Pourtant, ce qui nous arrive selon le cours de la Providence est, sous tous ses aspects essentiels, ce que fut Sa voix pour ceux à qui il s’adressa quand II était sur terre : peu importe qu’il commande en étant présent de façon visible, ou par une voix, ou par le truchement de nos consciences, pourvu que nous sentions que c’est un commande­ment. Si c’est un commandement, il est possible soit de lui obéir soit de lui désobéir ; on peut l’accepter, comme l’acceptèrent Samuel et saint Paul, ou l’on peut se dérober, comme se déroba le jeune homme qui avait de grands biens.

Et ces appels divins, de nos jours, sont ordinairement, par définition même, soudains, et aussi indéfinis et obscurs dans leurs consé­quences qu’au temps ancien. Les accidents et les événements de la vie constituent, comme cela est évident, une manière particulière dont nous parviennent les appels dont je parle ; et ces appels, comme nous le savons tous, sont par leur nature même, et comme le mot «accident» l’implique, soudains et inattendus. Un homme vaque comme d’habitude à ses occupations ; un jour il rentre chez lui et trouve une lettre, ou un message, ou une personne, qui est l’occasion d’une épreuve soudaine, et celle-ci, s’il l’affronte religieusement, lui permettra d’accéder à un plus haut degré de perfection religieuse, tout en étant aussi inintelligible pour lui dans le présent que les paroles ineffables entendues par saint Paul au Paradis (Cf. 2 Co 12,4). Par épreuve nous entendons ordinairement quelque chose qui, s’il lui est convenablement fait face, affermira le caractère d’un homme ; mais je parle de quelque chose de plus que cela – de ce qui non seulement affermira un homme, mais l’élèvera à un état plus haut de connaissance et de sainteté. Beaucoup de personnes, si elles se penchent sur leur vie passée, sont frappées par les différences qu’elles observent entre les idées qu’elles se sont faites, à des périodes différentes, de la vérité divine, de la façon de plaire à Dieu, de ce qui est autorisé et de ce qui ne l’est pas, de ce qu’est l’excellence et de ce qu’est le bonheur. Je n’hésite pas à dire que ces différences peuvent être aussi grandes que celle que l’on est en droit de supposer entre l’état d’esprit de saint Pierre lorsqu’il péchait tranquillement dans la mer de Galilée, ou celui d’Elisée lorsqu’il menait ses bœufs, et leur état d’esprit après qu’ils furent appelés à être prophète ou apôtre. En vérité Elisée et saint Pierre furent aussi appelés à un nouveau genre de vie, mais ce n’est pas de cela que je veux parler. Je ne parle pas des cas où une personne change de condition, de rôle dans la société, d’occupa­tion, et ce genre de chose – je suppose que les conditions extérieures d’existence demeurent sensiblement les mêmes ; ce que je dis est que beaucoup d’hommes ont conscience d’avoir fait intérieurement l’expé­rience de grands changements d’opinion concernant ce que sont la vérité et le bonheur. Je ne parle pas non plus de changements si grands qu’un homme inverse ses opinions et sa conduite précédentes. L’homme dont je parle voit qu’il y a un rapport entre passé et présent, que celui-là a conduit à celui-ci, et malgré tout il sent qu’ils diffèrent en nature, qu’il a accédé à un nouveau monde de pensée, et qu’il mesure les choses et les personnes selon une règle différente.

Rien, en vérité, n’est plus étonnant ni plus étrange que les diffé­rences d’opinion sur un même sujet entre personnes différentes. Prenez n’importe quel fait, événement ou objet que nous croisons en ce monde : quelle variété de remarques feront à leur propos des personnes différentes ! Réfléchissez, par exemple, aux jugements différents que portent des personnes différentes sur n’importe quelle action marquante ; ou bien au jugement que porte telle ou telle classe de la société sur la richesse ou sur les riches, ou aux sentiments différents qu’ils inspirent – envie, ou respect, ou sarcasme, ou colère et hostilité, ou indifférence, ou crainte et compassion, car telles sont les dispositions dans lesquelles telle ou telle personne différente peut les regarder. Ce sont là des diffé­rences majeures; il en est d’autres qui, pour être plus subtiles, n’en sont pas moins réelles. La religion, par exemple, peut être honorée par le soldat, l’homme de lettres, le marchand, l’homme politique, le théo­logien, mais quelles variantes dans leurs façons de l’honorer et quels écarts entre les modèles que chacun d’eux adopte pour son compte ! Eh bien ! toutes ces manières distinctes de prendre les choses ne peuvent pas être, toutes sans exception, la meilleure manière possible, même si l’on suppose qu’elles sont toutes bonnes – ce qui n’est certes pas le cas. Certaines sont en opposition avec d’autres, certaines sont mauvaises. Mais, même si l’on prend celles qui sont globalement bonnes, certaines ne le sont que partiellement, d’autres sont imparfaites, d’autres encore contiennent beaucoup de mauvaises choses ; et il n’y en a qu’une qui soit la meilleure. Une seule est la vérité et la vérité parfaite ; et celle-là, nul ne sait laquelle c’est, hormis ceux qui la détiennent, et même cela est douteux. Mais Dieu sait laquelle est la meilleure, et c’est vers cette seule et unique Vérité qu’Il nous mène. Il conduit ceux qu’Il a rachetés, Il forme ceux qu’Il a élus, tous sans exception, à la seule et unique connaissance parfaite du Christ et à la seule et unique parfaite obéis­sance à Lui – non sans leur concours, toutefois, mais par le moyen d’appels auxquels ils doivent obéir, car ceux qui ne leur obéissent pas perdent leur place et prennent du retard dans leur progression vers le Ciel. Il les conduit en les rendant toujours plus forts et plus glorieux à mesure qu’Il leur fait gravir les barreaux de l’échelle dont le sommet atteint le Ciel. Nous passons d’un état de connaissance à un autre, nous sommes menés d’une région plus basse à une région plus haute, si nous écoutons l’appel du Christ et si nous lui obéissons.

Il se peut que l’appel nous parvienne à l’occasion de la perte d’un ami ou d’un parent qui nous sont chers ; elle nous montre la vanité des choses d’ici-bas et nous invite à faire de Dieu notre seul soutien. Nous le faisons dans la suite, par l’effet de la grâce, comme jamais nous ne l’avions fait auparavant; et, avec les années qui passent, quand nous repensons à notre vie, nous percevons que ce triste événement nous a élevés à un nouvel état de foi et de discernement, et que nous sommes pour ainsi dire devenus d’autres hommes par rapport à ce que nous étions. Nous pensions, avant qu’il ne se produise, que nous servions Dieu, et c’est bien ce que nous faisions dans une certaine mesure, mais nous nous rendons compte que – du moins en ce temps-là, et quelles que soient aujourd’hui nos faiblesses, aussi loin que nous soyons de l’état le plus haut d’illumination – c’était le monde que nous servions en paraissant et en croyant servir Dieu.

Ou bien il se peut que survienne quelque chose qui nous force à prendre parti pour Dieu ou contre Lui. Le monde nous demande de lui concéder quelque chose que, de toute évidence, nous ne devrions pas lui sacrifier. Une offre tentante nous est faite, ou bien nous sommes menacés d’être critiqués ou discrédités, ou bien nous devons établir et déclarer où est la vérité et où est l’erreur. La possibilité nous est donnée d’agir comme Dieu voudrait que nous agissions, et nous le faisons dans la crainte et la perplexité. Nous ne voyons pas clairement la voie à suivre ; nous ne voyons pas ce que seront les conséquences de notre action ni quel effet elle aura sur l’ensemble de notre conduite et sur nos opinions ; et pourtant ces effets seront peut-être considérables. Cette petite action soudainement exigée de nous, décidée et exécutée quasi­ment dans l’instant, peut se révéler être comme la porte du second et du troisième Ciel – la voie d’accès à un état plus haut de sainteté et à une intelligence des choses plus vraie que celle qui était jusque-là la nôtre.

Il se peut encore que nous fassions la connaissance de quelqu’un dont Dieu use pour nous présenter un certain nombre de vérités aux­quelles nous étions auparavant fermés. Nous ne les comprenons qu’à moitié et ne leur donnons qu’à moitié notre assentiment, et pourtant Dieu semble parler par elles, et l’Écriture les confirmer. Un pareil fait est loin d’être rare et il comporte un appel à «nous appliquer à connaître le Seigneur » (Os 6,3).

Ou encore il se peut que nous ayons l’habitude de lire soigneuse­ment l’Écriture et d’essayer de servir Dieu, et que le sens de l’Écriture se découvre comme soudainement à nous, de manière entièrement neuve. Il se peut que nous vienne une pensée qui est la clé de bien des choses dans l’Écriture, ou qui elle-même appelle toute une chaîne d’autres pensées. Une lumière nouvelle peut être jetée sur les préceptes de Notre Seigneur et de Ses apôtres. Il se peut que nous soit donnée la capacité de pénétrer l’esprit des mœurs des premiers chrétiens, telles que les dépeint l’Écriture, alors qu’auparavant il était lettre morte pour nous, ainsi que celui des maximes simples sur lesquelles l’Écriture le fonde. Nous pouvons être amenés à comprendre que ces mœurs étaient très différentes de la vie que nous menons maintenant. Or la connais­sance est un appel à l’action: entrevoir en quoi consiste la perfection est un appel à la perfection.

Ou encore il peut arriver que, sans pouvoir dire comment ni pour­quoi, nous trouvions à certains égards beaucoup plus facile d’obéir à Dieu qu’auparavant. La constitution de notre esprit est si étrange qu’il est impossible de dire si cela résulte de la manifestation soudaine des effets de l’habitude ou d’un don particulier de la grâce divine qui s’épanche dans notre cœur, mais le fait demeure: que nous soyons tentés par la paresse, l’indécision, l’attachement aux choses du monde, l’orgueil, ou d’autres péchés plus bas et plus pitoyables, nous pouvons trouver soudainement que nous possédons une maîtrise de nous-mêmes dont nous étions dépourvus auparavant. Ou encore il se peut que gran­disse en nous la résolution de servir Dieu dans Sa maison et en privé avec plus de rigueur qu’auparavant. Cela est un appel à de plus hautes choses ; prenons garde de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu. Pre­nons garde de ne pas retomber ; fuyons la tentation. Efforçons-nous par la quiétude et la prudence de choyer la chétive flamme et de la protéger contre les orages d’ici-bas. Peut-être Dieu nous mène-t-il de la sorte vers un ordre plus élevé de vérité religieuse : travaillons avec Lui.

Je conclus. Rien n’est plus patent que ceci : dans la réalité, certains se sentent appelés à de hauts devoirs et à de hautes tâches, et non les autres. Pourquoi il en va ainsi, nous ne le savons pas – soit que ceux qui ne reçoivent pas l’appel en soient privés parce qu’ils ont failli dans des épreuves précédentes; soit qu’ils aient été appelés et n’aient pas répondu à l’appel ; soit que, bien que Dieu dispense la grâce du baptême à tous, néanmoins II en appelle certains à de plus hautes choses par le libre octroi de Sa grâce. Quoi qu’il en soit, le fait demeure. Tel voit des choses que tel autre ne voit pas, il a une foi plus vaste, un amour plus ardent, une plus grande intelligence spirituelle. Si le modèle de sainteté d’un autre est plus bas, nul n’a le droit de le faire sien. Ce que sont les autres hommes ne pèse d’aucun poids pour nous. Si Dieu nous appelle à une plus stricte renonciation au monde et exige que nous sacrifiions nos espoirs et nos peurs, notre gain n’en est que plus grand, c’est la marque de Son amour pour nous, il faut nous en réjouir. De telles pen­sées, si elles sont reçues comme il convient, ne tendent pas à nous gonfler d’orgueil ; en effet, si les perspectives ouvertes sont nobles, le risque est plus redoutable. À rechercher une haute excellence, on côtoie des précipices, et facile est la chute. Ce qui fait dire à l’apôtre : « Travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut : aussi bien, Dieu est là qui opère en vous» (Ph 2, 12.13). Également, plus les hommes visent haut, et plus sensibles ils sont à leurs propres imperfections, et cela aussi concourt tout particulièrement à les rendre humbles. Nous n’avons pas à craindre l’orgueil spirituel, lorsque nous suivons l’appel du Christ, si nous le suivons en hommes qui le prennent au sérieux. L’homme sérieux n’a pas le temps de comparer son état avec celui des autres ; il a le sentiment trop vif de ses propres infirmités pour se délecter de son sérieux. Le sérieux consiste simplement à être résolu à faire la volonté de Dieu. Il dit simplement : « Parle, Seigneur, car Ton serviteur écoute », et « Seigneur, que veux-Tu que je fasse ? ». Oh ! si seulement cette disposition était davantage en nous ! Oh ! si nous pouvions avoir sur les choses cette vue toute simple qui consiste à croire que notre seule tâche est de plaire à Dieu ! Où est, en comparaison, l’avantage de plaire au monde, de plaire aux grands, et même de plaire à ceux que nous aimons ? Quel avantage y a-t-il à être applaudi, admiré, recherché, suivi, en comparaison de ce but unique qui consiste à ne pas désobéir à une vision céleste ? Que peut offrir le monde de comparable à cette compréhension des choses spirituelles, cette foi fervente, cette paix céleste, cette sainteté élevée, ce mérite éternel, cet espoir de gloire, que possèdent ceux qui en toute sincérité aiment et suivent Notre Seigneur Jésus-Christ ?

Supplions-Le et prions-Le, jour après jour, de Se révéler plus pleine­ment à nos âmes ; d’aiguiser nos sens ; de nous faire voir et entendre, goûter et toucher le monde à venir ; d’opérer de telle sorte en nous que nous puissions dire en toute sincérité : « Par Ton conseil Tu vas me conduire, puis dans la gloire Tu me prendras. Qui donc aurais-je dans le Ciel ? Avec Toi, je suis sans désir sur la terre. Et ma chair et mon cœur sont consumés : Roc de mon cœur, ma part, Dieu à jamais ! » (Cf. Ps 73, 24-26).

Trad. Pierre Fontaney.

PPS VIII, 2 « Divine Calls », Texte en français: Sermons paroissiaux, VIII, Cerf, Paris 2007,26-36.