La foi, raison de la justification

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24 janvier 1841

« Beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux » (Mt 8, 11).

Notre Seigneur dit ici ce qu’il dit fréquemment ailleurs, c’est-à-dire que les Gentils, considérés jusqu’alors comme des réprouvés, doivent hériter des faveurs de Dieu avec Abraham et les autres patriarches. De plus, il dit qu’ils obtiendront ce grand privilège par la foi ; en effet les mots qui précèdent immédiatement ce texte sont : « En vérité, je vous le dis, je n’ai pas trouvé une foi aussi grande», c’est-à-dire comme celle du centurion, « non, pas en Israël » ; puis il ajoute : « Je vous le dis, beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux. » Saint Paul, il est à peine nécessaire de le faire remarquer, affirme la même chose de façon très emphatique; c’est pourquoi on peut l’appeler l’Apôtre aussi bien des Gentils que de la foi : ainsi par exemple « l’Écriture, prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, annonça d’avance à Abraham cette bonne nouvelle : En toi seront bénies toutes les nations, si bien que ceux qui se réclament de la foi sont bénis avec Abraham le croyant (…)». Dans l’histoire du baptême de Corneille, la même grande vérité est affirmée par saint Pierre, avec quelque légère variante d’expression. « En toute nation, celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable (Ac l0,35). » C’est là que se pose la question et elle est posée : si tout ce qui est nécessaire pour être reçu de Dieu est la foi au Christ, comment la communion ecclésiale, comment les sacrements sont-ils nécessaires ? On enseigne dans l’Église que la grâce du Christ n’est pas simplement un respect bienveillant avec lequel il nous considère, un simple état d’acceptation et une imputation extérieure de ses mérites appliquée à la foi, mais qu’il s’agit d’un véritable principe spirituel demeurant dans l’Église, circulant de l’Église jusque dans le cœur des individus et s’étendant partout, selon qu’ils viennent le chercher dans l’Église, et répandu sur toute la terre par leur appartenance à l’Église. C’est ce que l’Église enseigne elle-même au sujet de son propre don; et la question est de savoir comment cela est compatible avec l’impression légitimement produite sur l’esprit par des passages de l’Écriture comme le texte en exergue et d’autres que j’ai cités? Ils semblent parler comme si le grand don du Christ était le compte favorable qu’il tient de nous et dont les moyens sont la foi ; alors que nous semblons en parler comme d’un renouveau intérieur en nous et dont les moyens sont l’union à l’Église. Ils semblent en parler comme ce que chacun peut obtenir et garder pour lui-même; nous en parlons comme d’un certain bienfait, le même pour tous, obtenu en venant à elle et pour elle. Ils semblent parler de ce mode de vie comme de quelque chose d’individuel ou de solitaire ; nous en parlons comme d’une aventure vécue en société et partagée et d’un voyage en groupe.

On peut répliquer à cela qu’il est injuste et dangereux d’insister sur certains textes à l’exclusion d’autres, que, bien qu’il soit vrai que certains textes parlent de la foi et de rien d’autre, cependant d’autres parlent de la communion ecclésiale à l’exclusion de tout autre chose, comme moyen de salut; et, s’il en est ainsi, les deux, la foi ainsi que la communion ecclésiale, sont nécessaires et l’une ne sauvera pas sans l’autre ; que notre devoir est de venir au Christ dans la foi, par l’Église – et si nous faisons cela, nous observons la règle qui nous est donnée à la fois dans la première série de textes et dans l’autre – (on peut répliquer) qu’ils font violence à l’Écriture ceux qui pensent être sauvés par la foi sans l’appartenance à l’Église comme ceux qui pensent être sauvés par l’appartenance à l’Église sans la foi. Par exemple, si notre Seigneur dit : « Tout est possible à celui qui croit », cependant il dit ailleurs : « S’il néglige d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain. » S’il dit : « Croyez et vous obtiendrez », il dit pourtant ailleurs : « À moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu. » Si saint Paul dit que nous sommes justifiés par la foi sans les œuvres de la Loi, il nous affirme cependant que le Christ nous sauve « par l’aiguière de la régénération », que « tous ceux qui ont été baptisés dans le Christ ont revêtu le Christ» et qu’il y a «un seul baptême, un seul corps, un seul esprit » ainsi qu’« une seule foi » et que l’Église est «le pilier et le fondement de la vérité». De plus, si saint Pierre dit que Dieu accepte ceux qui le craignent et pratiquent des œuvres de justice, cependant il dit ailleurs que « le baptême nous sauve » et exhorte ses auditeurs à recevoir le baptême en vue de la rémission de leurs péchés et du don de l’Esprit saint.

Plus encore, on peut montrer que rien n’est plus naturel que cette union de moyens distincts différents, pour obtenir un bienfait particulier et que l’on ne force rien en interprétant ainsi une série d’expressions en harmonie avec l’autre et qu’il n’y a rien d’incompatible entre l’impression transmise par l’un et l’impression transmise par l’autre. Nous rencontrons des cas semblables chaque jour et nous avons recours à des formes identiques de langage chaque jour. Par exemple, si une personne venait à dire qu’elle voulait faire un don en nourriture ou vêtement à un pauvre nécessiteux, qui dirait qu’elle a brisé sa promesse si elle fixait un lieu particulier où la nourriture et les vêtements étaient déposés et où ceux qui la désiraient devaient aller la chercher ? Et jugerait-on raisonnable qu’un pauvre l’accoste vivement sur la voie publique et insiste pour qu’il donne directement sans devoir aller au lieu fixé ? Et pourquoi, en vérité, parce que l’autre avait dit qu’il donnerait à quiconque lui demanderait. De la même manière une personne charitable pourrait dire: «Demandez et vous obtiendrez» et n’aurait cependant pas l’intention de dispenser ceux qui demandent de la nécessité d’aller à un endroit, à une heure, au moment et à l’endroit où elle pratique la charité ; de la même manière le Christ peut dire de lui-même ou par ses apôtres : « Demandez et vous recevrez », « Croyez et vous serez sauvés » et cependant avoir l’intention de nous imposer certaines règles et de nous destiner un lieu pour ce trésor afin d’obtenir ce don auquel notre demande et notre foi suffisent à nous donner droit.

Cela est tellement évident qu’il est à peine nécessaire d’en parler beaucoup ; mais on peut objecter que cela est plus vrai en soi que pour notre dessein actuel : on peut dire qu’il y a des passages de l’Écriture qui parlent de façon si ample et absolue que supposer quelques conditions impliquées en eux qui ne sont pas précisées, quelque autre moyen d’obtenir la faveur de Dieu en plus de la foi ordinaire, c’est faire violence à leur langage. Supposons par exemple qu’un homme riche ait promis une aumône à son voisin pauvre et puis, au moment où ce dernier vient la lui demander, lui dise: «Je t’ai, il est vrai, promis une aumône et à titre gratuit – et j’ai vraiment l’intention de te la donner -cependant j’exigerai une condition, dont je n’ai pas fait état alors mais que j’envisageai pourtant et qui n’est pas contradictoire en termes explicites avec ce que j’ai dit et cette condition est la suivante : que vous parcouriez cinq cent milles pour le don que je veux vous faire jus­qu’au lieu où je l’ai mis en réserve ou que vous appreniez d’abord une langue étrangère et que vous me suppliiez dans cette langue » ; tout le monde aurait le sentiment qu’une telle conduite est une moquerie de la part du riche et une cruauté envers le pauvre. Les personnes dont je parle soutiennent que certains passages de l’Écriture parlent de la foi de façon si manifeste comme le moyen d’obtenir les mérites de la mort du Christ qu’il faut comprendre qu’elle est le seul moyen; le silence observé dans de pareils passages au sujet d’autres moyens étant équivalent à un refus de quelque autre moyen que ce soit ; ainsi donc, en toute vérité nous devons être justifiés par la foi seule en un sens plénier, absolu et authentique (si l’on peut se fier à la parole de l’Écriture), non en un certain sens uniquement ou d’un certain point de vue, mais en un sens spécial et particulier, par une prérogative qu’aucun autre moyen ne possède, qu’il s’agisse d’un rite, d’une œuvre ou d’un état d’esprit.

Par exemple, saint Paul dit sans restriction: «Aussi bien, n’y a-t-il pas de distinction entre Juif et Grec : tous ont le même Seigneur, riche envers tous ceux qui l’invoquent. En effet quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Mais comment l’invoquer sans d’abord croire en lui? Et comment croire sans d’abord l’entendre? Et comment entendre sans prédicateur?» Puis l’Apôtre conclut: «Ainsi la foi naît de la prédication et de cette prédication la Parole du Christ est l’instrument. » On peut dire avec certitude que ces mots impliquent clairement que la connaissance de la vérité est tout ce qui est nécessaire pour quiconque se l’applique à soi-même. Donnez-lui un livre, la Bible; donnez-lui la doctrine révélée ou ce que saint Paul appelle la parole de Dieu ; donnez-lui un prédicateur – il n’a besoin de rien d’autre. Il lui est possible à volonté de saisir, d’affirmer, de faire sienne, de faire usage de la promesse. Il lui suffit d’appeler et on lui répondra; il lui suffit de croire et il est justifié. « Car la foi du cœur obtient la justice, et la confession des lèvres le salut (Rm 10, 10-17). »

Voici un autre aspect ; quelle largeur, quelle ampleur, quelle simplicité dans ces paroles: «Demandez et l’on vous donnera; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe on ouvrira (Mt 7,7-8). » L’Écriture, peut-on dire, est-elle pour les gens simples ou non, s’adresse-t-elle aux innocents, aux candides, aux simples d’esprit ou est-il nécessaire d’avoir un esprit raffiné et cultivé pour la comprendre? Si l’Évangile est prêché aux pauvres, pouvons-nous douter qu’il est fait pour transmettre ce sens dont il est porteur à première vue ? – que tous ceux auxquels parvient la voix de l’Evangile doivent simplement invoquer Dieu, demander, prier, croire et qu’il leur sera fait selon leur foi ?

Nous pouvons ajouter également que tel fut le langage de saint Paul au geôlier à Philippes : « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et les tiens (Ac 16,31).»

Ces considérations contiennent un sens profond et il ne faut en aucune manière les négliger de façon légère. Accompagnées de quelques explications, elles semblent vraies. Je veux dire par là qu’il semble vraiment que tous ceux auxquels est parvenu le message de vie, en aient reçu l’offre, y trouvent un intérêt s’ils voulaient se l’appliquer et le droit de le faire ; son écoute est sa garantie, sa connaissance, son évidence, sa foi, son pouvoir. Cela pourrait paraître une vérité large, quelle que soit par ailleurs la vérité ; dans l’état actuel de la Chrétienté tellement pitoyable, cela est réconfortant de le croire. Je continue donc à expliquer en quel sens cela est vrai, ce que cela implique, quelles n’en sont pas les conséquences et ce qui en découle.

Je dis donc qu’entendre et croire – c’est-à-dire savoir, confesser et demander- nous donnent sous l’alliance de la grâce un titre, bien plus sont les seuls droits et titres nécessaires pour recevoir les dons acquis pour nous par notre Seigneur Jésus sur la Croix. Et maintenant observez, tout d’abord, ce que cela n’implique pas. Cela n’implique rien au sujet du moment ou du mode de notre justification. La foi est notre droit et notre titre pour être justifiés, les seuls droits et titre nécessaires; mais est-ce qu’une personne obtient immédiatement ce à quoi elle a droit ? Est-il chose plus nécessaire pour posséder et goûter les choses qu’un juste droit envers elles ? En est-il ainsi dans les questions humaines ? Est-ce qu’un droit n’est pas effectivement la première chose, mais est-ce tout ce qui est nécessaire pour posséder, retenir et utiliser? N’y a-t-il pas des formalités à remplir, des instruments de possession nécessaires ? Ou bien, prenez encore le cas des enfants de parents chrétiens. Ils ont un droit à devenir chrétiens ; mais deviennent-ils chrétiens simplement par leur droit à le devenir? S’il en est ainsi pourquoi les baptisons-nous? La foi, donc, dans le schéma général de l’Évangile est ce que leur naissance même et leur origine se trouve être dans le cas particulier des enfants des chrétiens. Elle constitue, dans notre cas, un droit d’être chrétiens; c’est une preuve, un signe intérieur spirituel de la part de Dieu qu’il désire que nous devenions chrétiens ; c’est une promesse de la part de celui qui est l’auteur et le finisseur de notre foi qu’il nous destine à être chrétiens, qu’il le veut. À celui qui a on donnera davantage. À celui auquel Dieu a fait le don de la foi, il fera aussi en temps voulu le don de la grâce évangélique, justifiante : mais le premier don n’obtient pas le second, il ne l’implique pas ; il ne fait que le préparer ; il n’en représente que le titre. Voici encore un autre point : les bonnes œuvres représentent notre droit d’entrée au Ciel; mais est-ce qu’une personne riche en bonnes œuvres et préparée pour le monde à venir meurt tout de suite ? Ou plutôt je devrais demander : entre-t-elle tout de suite au Ciel corps et âme sans la mort? N’y a-t-il rien à attendre? Rien à traverser, même dans le cas de ceux qui sont prêts à la mort? N’y a-t-il pas des personnes retenues dans la chair, qui, si elles étaient décédées hier ou bien il y a un an, iraient au Ciel ? N’y a-t-il point de saints sur la terre ? Certainement donc, avoir un titre n’est pas la même chose que posséder; tous les textes que l’on peut produire pour prouver que la foi est notre titre de justification, échouent à prouver d’eux-mêmes qu’elle contient en elle-même notre justification, à moins évidemment que des enfants soient chrétiens sans baptême parce que leurs parents étaient chrétiens et que des saints soient au Ciel avant la mort parce qu’ils sont dignes du Ciel. Si, dis-je, les textes en question montrent seulement que la foi est notre seul titre de justification, ils ne prouvent rien au sujet d’autre chose. Un titre pour un certain bienfait est encore un titre, que le bienfait ait été attribué ou non. Il ne cesse pas d’être un titre parce que nous possédons le bienfait et il n’en est pas moins un titre parce que nous ne l’avons pas reçu encore. Il n’est pas du tout lié au passé, au présent ou au futur. Il s’agit de ce que nous avons une fois reçu, ou par quoi nous tenons maintenant, ou à propos de quoi nous demandons encore le bienfait, selon le cas. Si donc les textes en question disent simplement que celui qui a la foi a droit aux mérites de la rédemption, ils disent simplement (ce qui en vérité est beaucoup; mais c’est tout ce qu’ils disent vraiment) que celui qui croit sera justifié de façon certaine, à un certain moment et par certains moyens. Qu’ils disent cela et pas davantage est évident à partir des textes auxquels nous avons déjà fait référence. Par exemple : « Quiconque invoque le nom du Seigneur sera sauvé » ; cela est promis mais le « comment », le « quand », le « où », le «par quel moyen», ces détails demeurent incertains à cause de la forme même de la proposition. Le moment n’est pas précisé, ni la manière, mais il est promis que cela arrivera.

Mais, d’autre part, si nous disons que la foi est la manière ou le moment aussi bien que le titre, nous pouvons aussi bien dire, également, qu’elle est l’auteur de notre justification. Nous pouvons également dire qu’elle remplace le rachat opéré par le Christ comme cause méritoire, comme le baptême en tant qu’instrument. Cela est encore vrai du texte ; il dit que beaucoup viendront de l’est et de l’ouest et prendront place au royaume des Cieux. Est-ce que venir est la même chose que s’asseoir? Venir représente la foi, s’asseoir le baptême ; venir est notre titre, être assis la possession. « Venir» est mentionné avant et amène à s’asseoir mais ce n’est pas s’asseoir. Un titre est une chose, la possession en est une autre. On pourrait démontrer la même chose des autres textes que l’on cite communément au sujet de cette question.

Cela devient encore plus évident si l’on considère que, tandis que, dans certains passages, on fait de la foi le moyen d’être agréable à Dieu, dans d’autres passages, on parle de la prière comme étant ce moyen d’y parvenir; et, de plus, la prière est évidemment l’expression de la foi, de sorte que tout ce qui est vrai de la prière l’est aussi de la foi. Or cela est trop évident pour que l’on y insiste : bien que l’obtention soit certainement promise à la prière pour ce que l’on demande, cependant le moment de l’obtenir n’est pas promis, et bien loin qu’elle soit immédiate, il nous est expressément dit de prier sans cesse, de persévérer avec instance dans la prière, afin de recevoir. Par exemple : « Demandez et vous recevrez ; cherchez et vous trouverez ; frappez et on vous ouvrira. » Là le salut est, pour ainsi dire, mis en notre propre pouvoir : entendre l’invitation nous offre une raison suffisante pour venir ; prier pour le don est le moyen sûr et certain de le recevoir. Cela est parfaitement vrai ; mais est-ce que le terme « cherchez » implique un acte et un seul ? Implique-t-il que nous obtenons aussitôt ce que nous demandons ? Il s’agit du contraire : on nous dit ailleurs : « Luttez pour entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer», c’est-à-dire: chercheront sans s’efforcer «et ne le pourront pas» (Lc 13,24). Et à nouveau: «Et il leur disait une parabole sur ce qu’il leur fallait prier sans cesse et ne pas se décourager (Lc 18,1). » Ce n’est donc pas un seul acte de prière, ni deux, mais un ensemble et la persévérance dans la prière, qui nous donnent droit à la miséricorde de Dieu ; ainsi donc, de la même manière, ce n’est pas un seul acte de foi qui justifie, ou deux, mais notre raison c’est de vivre et de marcher dans la foi ; et commencer à avoir la foi c’est entrer sur le chemin qui conduit, qui conduit infailliblement à la justification, par une série d’événements ou de conditions, dont la foi est la première et la seule de notre côté. Je dis que le message « Croyez et vous obtiendrez », «Appelez et vous serez sauvés», implique aussi peu qu’un seul acte de foi, un seul appel soit tout ce qui est nécessaire, que « Demandez et vous recevrez » implique que nous pouvons obtenir des réponses à la prière selon notre simple désir. Quelquefois, sans aucun doute, Dieu répond miséricordieusement à une seule prière et quelquefois il justifie sur un seul acte de foi ; mais je parle de ce que nous avons le droit de déduire de tels passages ; et je dis que tout ce qu’ils peuvent prouver est ceci : celui qui a la foi a une promesse de Dieu selon laquelle, à la manière de Dieu, au moment de Dieu, certainement et sûrement au moment voulu il sera justifié ; de même que celui qui commence à prier obtiendra tôt ou tard, de même celui qui croit sera justifié, à moins qu’il ne se retire.

Mais cela devient un sujet de certitude par les exemples qui nous sont donnés dans le Nouveau Testament au sujet de la justification par la foi. Nous découvrons que la foi n’était pas jugée suffire mais devait amener à d’autres conditions. On ne pensait pas qu’un homme ait tout obtenu par la foi, mais qu’il ait obtenu un titre grâce auquel il pouvait trouver et obtenir. Par exemple, même dans un cas qui est susceptible d’être interprété différemment dans quelques-uns de ses aspects, tout cela est certain. Corneille fut un exemple spécial de la foi ; mais cette foi suffit-elle à faire de lui un chrétien justifié ? Non ; elle ne lui en donna que le titre. Elle incita le Dieu de miséricorde à faire des miracles pour lui. Cette circonstance spéciale et remarquable se produisit en son cas selon laquelle le premier don spirituel ne fut pas donné par le baptême et cependant il ne fut pas donné tout de suite par la foi. Bien loin de là, il lui fallut s’adresser à un apôtre avant de le recevoir.

Prenez encore l’exemple de saint Paul lui-même. Par la foi, il obéit à la vision céleste, entra à Damas et attendit. Mais il lui fallut attendre, il ne fut pas justifié. Il attendit trois jours – il pria ; puis Ananie fut envoyé ; et il dit : « Allons ! Reçois le baptême et purifie-toi de tes péchés en invoquant son nom (Ac 22, 16)» Croire, confesser la foi, prier, invoquer, constituaient le titre suffisant pour le don ; mais le baptême fut l’instrument pour le recevoir. Saint Paul, qui avait la foi, était sûr, à cause de la grande miséricorde de Dieu, de recevoir dans la suite le baptême, mais pas tout de suite.

Considérez encore le cas de l’eunuque éthiopien. «La foi-vient de ce que l’on entend et on entend grâce à la parole de Dieu. » Cela s’accomplit dans son cas. Il lut le prophète Isaïe au sujet des souffrances expiatoires du Christ. Il entendit Philippe prêcher sur ce texte sacré. Il eut foi dans le Christ. Il eut une raison d’être justifié ; mais il fut baptisé pour recevoir la justification. Entendez ses propres paroles lorsqu’il affirme: «Voici de l’eau. Qu’est-ce qui empêche que je sois baptisé (Ac 9,36) ?» Vous voyez, le baptême était le grand don qu’il recherchait; pourquoi si ne n’est parce qu’il transmettait le don de la vie? Cela aurait-il été raisonnable d’avoir été empressé pour un rite mort, pour un simple rite extérieur? Surtout maintenant qu’il avait entendu et cru. Aurait-il demandé s’il y avait des obstacles au sujet d’un simple rite extérieur, alors qu’il avait déjà obtenu le don intérieur? Non? Il recherchait le baptême parce qu’il était digne d’être recherché. Et Philippe considère ainsi les choses : il dit : « Tu peux, si. » Il met une condition. Les hommes ne mettent pas de condition aux choses sans valeur. Une condition est un prix – les hommes n’achètent pas rien avec quelque chose. L’eunuque allait recevoir un don, sinon il n’y aurait pas eu de délai, d’examen, d’engagement. Quelle fut donc la condition ? « Si tu crois de tout ton cœur, tu peux. » Si tu crois. « Et il répondit et dit : je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. » La foi, donc, fut la raison, fut la seule raison. « Il fit arrêter le chariot et ils descendirent dans l’eau tous les deux, Philippe et l’eunuque et il le baptisa. » Après un certain temps, tout fut terminé. L’acte fut posé- le don fut accordé- la justification fut accomplie – c’est pourquoi «lorsqu’ils furent sortis de l’eau, l’Esprit du Seigneur enleva Philippe». Il ne l’enleva pas avant. Il ne jugea pas qu’il suffisait que Philippe prêche. Philippe prêcha et baptisa ; puis il fut enlevé. S’il s’était contenté de prêcher et n’avait pas baptisé, et si l’eunuque avait toujours eu la foi, alors sans aucun doute dans la grande miséricorde et bienveillante providence de Dieu, un autre messager venu de lui l’aurait baptisé; l’eunuque ne serait pas reparti sans le baptême; il n’aurait pas été frustré du fruit de sa foi ; simplement, il ne l’aurait pas reçu si tôt. Il aurait toujours eu le titre, le droit au baptême. Mais Dieu «sans retard accomplit sa parole en toute justice (Rm 9,28)». Il justifia l’âme croyante par l’eau ; puis Philippe, son instrument, fut enlevé et le chrétien « poursuivit sa route dans la joie ».

Un exemple de plus ; saint Paul dit au geôlier : « Crois dans le Seigneur Jésus-Christ et tu seras sauvé », – puis lui et Silas « lui annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu’à tous ceux qui étaient dans sa maison» (Ac 16,30-34). Là donc «la foi est venue de l’écoute et l’écoute, de la parole de Dieu ». En conséquence, la promesse fut pour lui et les siens, et que se produisit-il ensuite ? Que saint Pierre nous le dise, au jour de Pentecôte. « La promesse, dit-il, est pour vous et vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, autant que le Seigneur notre Dieu en appellera» ; c’est pourquoi « soyez baptisés ». Tel était l’enjeu – soyez baptisés – pourquoi ? « pour la rémission des péchés et vous recevrez le don du Saint-Esprit ». Ce que saint Pierre dit aux Juifs, cela saint Paul le fit envers le geôlier, ou plutôt saint Silas le fit ; en effet saint Paul dit de lui-même qu’il n’a pas été envoyé pour baptiser, mais pour prêcher l’Évangile. Lui ne baptisait pas, parce que le baptême était un don si grand que les apôtres voulaient éviter l’occasion de sembler baptiser en leur nom personnel et de sembler se mettre en avant pour ce moyen méritoire par lequel les hommes sont sauvés. Saint Paul dit donc : «Je remercie mon Dieu de n’avoir baptisé aucun de vous », si ce n’est un ou deux dont il fait mention ; « de sorte que nul ne peut dire que vous avez été baptisés en mon nom (1 Col, 14-15)». De même que l’eau est un élément faible, de même le ministre choisi était le vase d’argile le plus fragile de l’Église, pour montrer que tout venait de Dieu. En conséquence, l’Apôtre était en général accompagné d’un ami qui, tout en étant pour lui un compagnon et un réconfort, assurait les fonctions qu’il ne prenait pas sur lui-même. Philippe était diacre et baptisait ; saint Paul était apôtre et ne baptisait pas; c’est pourquoi, dis-je, il est plus vraisemblable, dans le cas qui nous occupe, que Silas ait baptisé le geôlier et non saint Paul. Quoi qu’il en soit, il fut baptisé ainsi que tous les siens ; puis, et non point auparavant, se produisit en lui le même changement intérieur qui avait eu lieu chez l’eunuque: «Il se réjouit et crut en Dieu avec toute sa maisonnée. » Il avait cru avant le baptême, mais ne s’était pas réjoui avant le baptême – il se réjouit après le baptême. Les hommes se réjouissent lorsqu’ils ont trouvé ce qu’ils cherchent. Le noble éthiopien et l’humble geôlier se réjouirent pour leur baptême. La foi donnait une raison : le baptême donnait la possession. La foi leur procurait ce que rien d’autre ne pouvait procurer et le baptême le transmettait.

Nous en avons assez dit pour expliquer en quel sens la foi est unique et opère ce que rien d’autre ne peut opérer. Celui qui a les moyens d’entendre l’Evangile et y croit de tout son cœur n’a pas le moyen d’obtenir la justification, mais une raison pour la recevoir ; il a en lui une garantie, non pas que Dieu l’a justifié, mais le justifiera. Et cela fut si pleinement compris et reçu par la primitive Eglise du Christ que, à supposer qu’une personne désireuse de recevoir le baptême et s’y préparant vienne à mourir avant de le recevoir, l’on croyait que cette personne à sa mort était placée par la miséricorde divine dans cet état de salut, dans lequel elle serait entrée par le baptême. Ou encore, à supposer qu’une personne soit martyrisée pour sa foi sans être baptisée, dans ce cas, on considérait également son salut assuré de manière semblable sans le baptême. En effet quand un homme a la foi véritable, le Christ, nous en avons l’humble confiance, ferait plutôt un miracle pour sa justification, que de le priver de ce qu’il considère comme son droit par grâce. Celui qui a commencé une bonne œuvre en nous l’accomplira d’une manière ou d’une autre et la conduira à sa perfection. Par sa Providence, il créera des Églises et des ministres du baptême pour assister les âmes qu’il visite; ou bien il les conduira d’Ethiopie à Jérusalem et enverra Philippe à leur rencontre ; ou bien il parlera en songes par son Ange et enverra chercher Pierre à Joppée ; ou dans une prison il fera même jaillir miraculeusement une source d’eau du rocher à la voix d’un apôtre ; ou, si tous les autres moyens sont inexistants, il se réconciliera l’âme sans le sacrement approprié au moment de la mort. D’une manière ou d’une autre, quand il donne la foi, il fraye un chemin à la grâce salvifique. En effet ceux qu’il connaît d’avance, il les prédestine; ceux qu’il prédestine, il les appelle; ceux qu’il appelle il les justifie ; et ceux qu’il justifie, il les glorifie.

Et maintenant il est évident que ces considérations jettent une lumière consolante sur l’état actuel désordonné de la Chrétienté. Je pense qu’il n’y a pas de présomption à interpréter ainsi l’Écriture et à juger ainsi de l’état des choses que nous voyons ; et, si ce n’est pas le cas, nous pouvons être reconnaissants de pouvoir procéder ainsi. Il est donc tout à fait vrai et on ne doit jamais oublier que la grâce de l’Évangile est située dans un corps divinement choisi et s’étend à partir de lui. Elle se répand comme du levain sur le monde, d’après la parabole, par une continuité et une progression ; on ne la trouve pas ici ou là, d’une manière séparée et isolée, mais ici et là et où que ce soit comme les éléments d’un tout. Autant supposer que les branches d’un arbre jonchent la terre, que le tronc soit sur le sol, que les feuilles soient dispersées en plein air et que les fruits soient au fond du ruisseau et que cependant tout forme un seul arbre vivant, que de supposer que l’Église soit divisée. Cela est impossible. Aucun de ceux qui sont extérieurs à elle n’en font partie; c’est presque un truisme que de dire cela. Ni la foi ni rien d’autre ne peut faire que soit ce qui n’est pas. Le désir ne peut remplacer l’entrée dans l’Église, ni la foi tenir la place du baptême. Aucun n’est justifié que ceux qui sont greffés dans le corps justifié ; la foi n’est pas un instrument pour greffer mais un motif permettant la greffe. C’est le baptême, «par lequel, en tant qu’instrument ceux qui le reçoivent en droiture », c’est-à-dire par la foi, « sont greffés dans l’Église ». Tous les privilèges viennent avec l’Église ; c’est de la communion avec elle que s’écoulent les privilèges dans l’âme. Celui qui n’est jamais entré dans l’Église ne possède point ces privilèges : celui qui s’en est séparé, ou qui a péché gravement en son sein, ou qui est né dans une branche schismatique ou une secte hérétique, se voit privé de ces privilèges. Il y a donc, tout autour de nous, de grands nombres de personnes, de vastes multitudes qui, pour une raison ou pour une autre, par leur propre faute ou la faute de leurs pères, sont dans une situation qui les prive de la jouissance des privilèges de la régénération. Le pouvoir de l’Esprit, la netteté et l’éclat de la nouvelle créature, la relation avec le Ciel, la lumière du visage de Dieu, la plénitude de la justification ne sont pas reçus par ces masses d’hommes, tout au moins d’après les dispositions de l’alliance de l’Évangile. Mais en dépit de cela, nous pouvons humblement, et pourtant avec confiance, dire que là où se trouve la foi véritable, là sera aussi la justification ; là elle est promise, elle est due, elle arrive, d’une certaine manière, à un certain moment. Que, tout comme les saints de l’Ancien Testament qui attendirent et ne reçurent la justification de l’Évangile qu’à la première venue du Christ, ces âmes fidèles soient reçues dans la gloire et la grâce de l’Église lors de sa deuxième venue, ou qu’elles entrent dans le royaume à la mort, ou que, par une dispense extraordinaire inconnue de nous et d’elles-mêmes, elles reçoivent ce don ici-bas, ou qu’en ce monde leurs yeux s’ouvrent enfin et que l’Église leur soit révélée comme le véritable trésor de grâce et la demeure du refuge de tous les croyants, qu’ils soient conduits à la cher­cher et qu’ils renoncent à la secte de leur naissance ou de leur choix, – quoi qu’il en soit, ils ont un titre à être entendus ; s’ils appellent, on leur répondra, – s’ils frappent, on leur ouvrira. Quels sont ceux qui ont cette foi véritable, nous ne pouvons pas le dire, pas plus que le moment où Dieu leur donnera la récompense ; ni quel type d’assistance, quel pouvoir d’influence spirituelle il leur donne, à eux qui, cependant, comme les Juifs, n’ont pas les dons particuliers et les assurances de l’Alliance de l’Évangile. Cependant c’est un très grand réconfort de croire que les faveurs de Dieu ne sont pas limitées par les frontières de son héritage, mais que, dans l’Église ou hors de l’Église, tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur d’un cœur pur et parfait seront sauvés.

Et ainsi la jouissance des saintes Écritures est un don estimable dans un pays, pour ceux qui l’utilisent correctement, qu’ils appartiennent ou non à l’Église et jusqu’à présent nous pouvons tout à fait nous réjouir de leur circulation ; non que la possession justifie, ou la lecture ou la connaissance ; non que la Bible soit notre religion, selon cette expression étrange qui, hélas, a cependant un sens trop vrai en fait ; mais la Bible est le moyen qui conduit à la foi, grâce à l’aide secrète de Dieu, et la foi est le moyen qui conduit à la justification. Et comme la lecture n’implique pas la foi mais est pourtant le moyen qui y conduit, ainsi la foi, bien qu’elle n’implique pas la justification, est cependant un motif assuré pour l’obtenir. De la sorte grâce à la lecture de l’Écriture, des milliers, nous pouvons en avoir l’assurance, qui ne sont pas baptisés, cependant sont virtuellement catéchumènes et de cœur et d’esprit candidats à ce sacrement de la purification, des milliers qui vivent dans l’hérésie inconsciente ou le schisme involontaire, sont pourtant par la foi dans l’état de Corneille, lorsque ses prières et ses aumônes montaient vers Dieu. Des milliers qui sont obligés de recevoir les espèces de la Sainte Communion non consacrées ou consacrées selon des rites douteux, ont pourtant en eux-mêmes ce que la déficience ou l’ignorance du ministre ne peut enlever – une préparation du cœur. Des milliers de personnes qui appartiennent à des branches de l’Église que des hommes impies ont dépouillées des rites saints, bien que les deux sacrements eux-mêmes y demeurent, peuvent recevoir par leur foi en ces sacrements ces grâces supplémentaires, qui étaient de façon habituelle données par le biais de ces rites perdus. Et des milliers, qui sont nés et ont été éduqués dans la séparation, deviennent par leur foi éclairés divinement pour rechercher la communion catholique, une et sainte ; en elle habite la présence de Dieu. Tel est le pouvoir de la foi : non de déprécier les rites, mais d’obtenir des grâces.

Enfin, il est évident en même temps, et le visage de la Chrétienté le montre, que cet état spirituel est triste, même s’il est heureux en définitive : en lui, contrairement à la volonté du Christ, la foi est séparée de la justification. Le Christ a voulu que la justification soit donnée immédiatement avec la foi par le sacrement du baptême. Satan a tellement introduit le désordre dans la Chrétienté que de nombreuses personnes ont peut-être la foi sans avoir encore la justification ; un espace non de jours, comme dans le cas de Corneille, mais d’années, que dis-je, peut-être d’une vie, s’étendant entre les deux. Nous voyons la conséquence d’un état si anormal tout autour de nous. Quelle inconsistance déplorable même parmi nos hommes de bonne volonté ! Qu’ils sont excellents dans certains domaines et très imparfaits dans d’autres ! Combien limpide et édifiante semble la foi d’un grand nombre qui ont cependant fait de très légers progrès dans leur sanctification ! Que la foi (cela est mystérieux à dire) se mêle à l’esprit païen, à l’orgueil, au découragement ou à l’aveuglement obstiné par rapport à la vérité ! Qu’est-ce que tout cela montre si ce n’est que l’Esprit de Dieu agit effectivement parmi nous, mais que l’Église du Dieu vivant est à peine présente ; que des rayons de sa faveur sont répandus sur nous, mais que le Soleil de Justice est caché; qu’il a caché son visage; que nous recevons de l’aide, mais ne recevons point de grâces évangéliques ; que nous avons des signes et des preuves de la miséricorde mais pas de justification ; la foi produit les meilleurs fruits possibles dans ce vaste univers, d’une manière sauvage et incertaine, tout comme de douces plantes pourraient fleurir et des arbres plantureux porter du fruit, à l’extérieur de l’Éden.

Mais remercions et bénissons Dieu, mes frères, de nous avoir placés, car telle est notre confiance, à l’intérieur des frontières de son royaume ; prions-le afin que nous puissions faire bon usage de ce privilège inestimable ; prions-le d’y faire pénétrer tous les autres, d’accorder la lumière là où il donne la foi et de faire pénétrer dans la cité du Dieu vivant tous ceux qui tournent vers elle leur visage.

Trad. Irène-Marie Bordes.

de Sermons Paroissiaux, L’identité chrétienne, vol 6, 12, Edition Cerf, Paris 2006, pp. 140-153.