Le Christ, Esprit vivifiant

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La fête de la résurrection de Notre Seigneur, 3 avril 1831

« Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici ; mais il est ressuscité » (Lc 24, 5-6).

Telle est la question triomphante par laquelle les saints anges ont fait s’envoler la tristesse des femmes au matin de la résurrection du Christ. « Ô vous qui êtes de peu de foi », de moins de foi que d’amour, plus respectueux qu’intelligents, pourquoi venez-vous oindre son corps le troisième jour ? Pourquoi cherchez-vous dans la tombe le Sauveur vivant ? Le temps du chagrin est passé ; la victoire est arrivée selon sa parole, et vous ne vous en souvenez pas. « Il n’est pas ici, il est ressuscité ! »

Ce furent là actes accomplis et paroles proférées voilà mille huit cents ans, depuis si longtemps que, dans la pensée du monde, elles sont comme si elles n’avaient jamais été ; pourtant elles tiennent ferme à ce jour. Le Christ est pour nous maintenant exactement ce qu’il était dans tous ses attributs glorieux, au matin de la Résurrection; et nous sommes heureux de le savoir, plus heureux même que les femmes auxquelles l’ange a parlé, comme lui-même nous l’assure : « Heureux êtes-vous vous qui n’avez pas vu et pourtant avez cru. »

En cette fête, la plus grande de toutes, je vais essayer de vous exposer l’un des multiples et consolants sujets de réflexion qu’elle suggère.

1. Tout d’abord, donc, remarquez comment la résurrection du Christ s’harmonise avec l’histoire de sa naissance. David avait annoncé que son « âme ne serait pas laissée en enfer » (c’est-à-dire dans l’état invisible), et que « le Saint de Dieu ne verrait pas la corruption ». Et, en se référant à cette prophétie, saint Pierre dit qu’il « n’était pas possible que la mort le retînt (Ps 16,10 ; Ac 2,24-27) » ; comme s’il y avait quelque force cachée inhérente en lui, qui protégeait son humanité de la dissolution. Le plus grand degré de souffrance et de violence qu’on lui infligeait ne pouvait détruire ses facultés que pour un temps ; mais rien ne pouvait les ruiner. « Tu ne laisseras pas Ton Saint voir la corruption » ; ainsi parle l’Écriture ; et ailleurs, elle l’appelle « le saint Enfant Jésus (Ac 4,27) ». Ces expressions renvoient nos esprits à l’annonce que firent les anges de sa naissance, dans laquelle est impliquée sa nature immortelle et incorruptible. « Cet être saint » qui naquit de Marie était « le Fils » non d’un homme, mais « de Dieu ». Les autres sont tous nés dans le péché « d’après la propre ressemblance d’Adam, à son image (Gn 5,3)», et, étant nés dans le péché, ils sont héritiers de la corruption. « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, avec la mort» et toutes ses conséquences sont venues « par le péché ». Aucun être humain ne vient à l’existence sans que Dieu discerne les signes de péché qui accompagnent sa naissance. Mais quand le Verbe de vie fut manifesté dans notre chair, l’Esprit saint déploya cette main créatrice par laquelle, au commencement, Eve fut formée ; et le saint Enfant, ainsi conçu par la puissance du Très-Haut, était (comme l’histoire le montre) immortel, même dans sa nature mortelle, libre de toute infection due au fruit défendu, au point d’être sans péché et incorruptible. Par conséquent, bien qu’il fût assujetti à la mort, « il était impossible qu’elle Le retînt ». La mort pouvait dominer, mais elle ne pouvait garder en sa possession ; « elle n’avait pas d’empire sur lui (Rm 6,9) ». Il était, dans les termes mêmes du texte, « le Vivant parmi les morts ».

Ainsi peut-on dire de sa résurrection d’entre les morts qu’elle montra son origine divine. D fut « déclaré être le Fils de Dieu avec puissance, selon l’Esprit de Sainteté », c’est-à-dire la divinité de son essence, « par la résurrection d’entre les morts (Rm 1,4) ». Il fut condamné comme blasphémateur par les dirigeants juifs « parce qu’il s'[était] fait lui-même Fils de Dieu » ; et il fut condamné à la mort de la croix, non seulement à titre de châtiment, mais pour réfuter sa cause par les faits. Il fut mis au défi par ses ennemis sur ce point : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la Croix. » Aussi sa crucifixion fut-elle comme une mise’ en jugement, une nouvelle mise à l’épreuve de la part de Satan qui l’avait tenté auparavant, pour savoir s’il était comme les autres hommes, ou bien le Fils de Dieu. Observez bien l’événement. Il fut obéissant jusqu’à la mort, accomplissant la loi de cette nature déshéritée qu’il avait assumée ; et dans le but, en la subissant, d’expier nos péchés. Car ce qui était permis par «le dessein déterminé et la prescience de Dieu » allait jusque-là ; mais c’est ici que le triomphe de ses ennemis, pour le nommer ainsi, prit fin – prit fin avec ce qui était nécessaire pour notre rédemption. Il dit : « Tout est fini » ; car son humiliation était au plus bas possible quand il expira. Aussitôt quelques signes naissants montrèrent eux-mêmes que la vraie victoire était de son côté ; tout d’abord, le tremblement de terre et les autres miracles au ciel et sur la terre. Ces événements seuls suffisaient à justifier sa cause dans le jugement du centurion païen, ce centurion qui dit : « Vraiment, celui-là était le Fils de Dieu. » Ensuite vint sa descente aux enfers.et son triomphe dans le monde invisible, quel qu’il fût. Enfin ce glorieux acte de puissance au troisième matin dont nous faisons maintenant mémoire. Le mort ressuscita. La tombe ne pouvait pas retenir celui qui « avait la vie en lui-même ». Il ressuscita comme un homme s’éveille le matin quand le sommeil s’envole loin de lui tout naturellement. La corruption n’eut pas de pouvoir sur ce corps saint, fruit d’une conception immaculée. Les liens de la mort furent brisés comme « de jeunes pousses fragiles », témoins par leur faiblesse de ce qu’il était le Fils de Dieu.

Tel est le rapport entre la naissance du Christ et la Résurrection ; et l’on pourrait oser dire bien davantage sur sa nature non corrompue, s’il ne valait mieux éviter tout risque d’outrepasser la vénération avec laquelle nous sommes tenus de la regarder. On pourrait dire quelque chose de son apparence personnelle, qui semble avoir porté les marques de quelqu’un qui n’était pas entaché d’un péché de naissance. Les hommes pouvaient à peine s’empêcher de lui rendre un culte. Quand les pharisiens envoyèrent des gens pour se saisir de lui, tous les officiers, simplement en apprenant qu’il était celui qu’ils cherchaient, tombèrent à la renverse sur le sol, repoussés par sa présence. Us furent effrayés comme les bêtes sauvages, dit-on, le sont par la voix de l’homme. Ainsi, étant créé à l’image de Dieu, il fut le second Adam ; et bien plus qu’Adam, dans sa nature cachée qui rayonnait par le biais de sa demeure de chair avec une pureté et un éclat redoutables, même dans les jours de son humiliation. « Le premier homme était de la terre, terrestre ; le second était le Seigneur du Ciel (1 Co 15,47). »

2. Et si telle était sa majesté visible tandis qu’il était encore sujet à la tentation, à l’infirmité et à la souffrance, bien plus éclatante fut la manifestation de sa divinité quand il fut ressuscité d’entre les morts. Alors la divine essence jaillit, pour ainsi dire, de tous côtés, et environna son humanité comme un nuage de gloire. Son corps saint fut transfiguré au point que celui qui avait daigné naître d’une femme et être suspendu à la Croix, eut en lui, comme un esprit, le pouvoir subtil d’arriver à travers des portes fermées parmi ses disciples rassemblés ; tandis que, se mettant à la portée du jugement de leurs sens, il montra qu’il n’était pas un simple esprit, mais que c’était lui-même, comme auparavant, avec des mains blessées et un côté transpercé, qui leur parlait. Il se manifesta lui-même à eux, dans cette condition glorieuse, afin qu’ils puissent être ses témoins pour le peuple ; témoins de ces vérités distinctes que la raison ne peut combiner, à savoir qu’il avait un corps vraiment humain, que ce corps participait aux propriétés de son âme et qu’il était inhabité par le Verbe éternel. Ils le touchèrent de leurs mains – ils le virent aller et venir quand les portes étaient fermées -, ils sentirent (chose qu’ils ne pouvaient pas voir, mais dont ils pouvaient témoigner même jusqu’à la mort) qu’il était « leur Seigneur et leur Dieu » ; ce fut là une triple preuve, d’abord de sa rémission des péchés, ensuite de leur propre résurrection dans la gloire, enfin de sa puissance divine capable de les conduire sûrement jusqu’à elle. Ainsi manifesté comme Dieu parfait et homme parfait, dans la plénitude de sa souveraineté et l’immortalité de sa sainteté, il monta dans les hauteurs pour prendre possession de son royaume. C’est là qu’il demeure jusqu’au dernier jour « Merveilleux, Conseiller, Dieu Puissant, Père à jamais, Prince de la paix (Is 9,6) ».

3. Il monta au ciel pour pouvoir plaider notre cause auprès du Père ; comme il est dit : « Il vit à jamais pour intercéder en notre faveur He 7,25). » Cependant nous ne devons pas supposer qu’en nous quittant il a clos l’économie de grâce de son incarnation et retiré le service de son incorruptible humanité de l’œuvre de sa miséricorde d’amour envers nous. «L’unique Saint de Dieu» reçut l’ordre non seulement de mourir pour nous, mais aussi d’être, dans notre race pécheresse, « le commencement » d’une nouvelle « création » qui mène à la sainteté ; l’ordre de renouveler l’âme et le corps à sa propre ressemblance, afin qu’ils puissent être « ressuscites ensemble et siéger ensemble aux lieux célestes, dans le Christ Jésus ». Béni à jamais soit son saint Nom ! Avant de partir, il se souvint de notre besoin, et acheva son œuvre en nous léguant une manière particulière de l’approcher, un saint mystère dans lequel nous recevons (sans savoir comment) la force de ce corps céleste qui est la vie de tous ceux qui croient. Il s’agit du sacrement béni de l’eucharistie dans lequel «le Christ est établi clairement comme crucifié parmi nous », afin que, prenant part au banquet du sacrifice, nous puissions être «participants de la Nature divine». Prêtons-y attention de peur que nous ne soyons au nombre de ceux qui « ne discernent pas le corps du Seigneur » et les « promesses grandes et précieuses au-delà de notre attente », faites à ceux qui y prennent part. Et puisqu’il peut y avoir un certain danger à cela, je ferai ici quelques brèves remarques concernant ce grand don ; et fasse Dieu que mes mots et mes pensées soient en accord avec sa sainteté indicible ! Le Christ dit : « Comme le Père a en lui la vie, ainsi a-t-il donné aussi au Fils d’avoir la vie en lui-même. » Et, plus loin, il dit : « Parce que je vis, vous vivrez vous aussi (Jn 5,26 ;14,10). » Il semblerait donc que, comme Adam est l’auteur de la mort pour toute la race des hommes, de même le Christ est à l’origine de l’immortalité. Quand Adam mangea le fruit défendu, ce fut comme un poison qui se répandit à travers toute sa nature, âme et corps, et de là en chacun de ses descendants. Il lui fut dit, quand il était placé dans le jardin : « Le jour où tu mangeras, à coup sûr tu mourras » ; et l’on dit expressément : « en Adam tous meurent. » Nous sommes tous nés héritiers de cette infection de nature qui suivit sa chute. Mais on nous dit aussi : « Comme tous meurent en Adam, ainsi tous, dans le Christ, recevront la vie », et c’est la même loi de la providence divine qui est maintenue dans les deux cas. Adam répand le poison, le Christ diffuse la vie éternelle. Le Christ communique la vie à chacun de nous, un par un, parle moyen de cette nature sainte et non corrompue qu’il assuma pour notre rédemption. Comment ? Nous ne le savons pas; et cependant, bien qu’elle soit invisible, c’est certainement par une communication réelle de lui-même. Aussi saint Paul dit-il que : « Le dernier Adam fut fait » non simplement « âme vivante », mais « esprit vivifiant » ou donneur de vie, en tant qu’il est « le Seigneur venu du ciel (Gn 2,17 ; 1 Co 15,22, 45,47) ». Et encore, selon ses propres paroles remplies de grâce, il est : « le Pain de vie ». « Le Pain de Dieu c’est Celui qui descend du ciel et donne vie au monde » ; ou, comme il le dit plus explicitement : « Je suis le Pain vivant qui est descendu du ciel », « Je suis le Pain de vie », « Je suis le Pain vivant qui est descendu du Ciel ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ; et le pain que je donnerai c’est ma chair que je donnerai pour la vie du monde. » Et il dit encore, de manière plus claire : « Qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour (Jn 6,33-5). » Pourquoi penserait-on que cette communion à lui est incroyable, toute mystérieuse et sacrée qu’elle soit, alors que l’Évangile nous apprend de quelle manière merveilleuse il agit, aux jours de son humiliation, envers ceux qui l’approchèrent ? On nous dit une fois que « toute la foule cherchait à Le toucher, car une force sortait de Lui et les guérissait tous». Et encore, quand la femme souffrant d’hémorragie le toucha, il « sut immédiatement qu’une force était sortie de Lui ». Une telle grâce était invisible et ne pouvait être reconnue que par la guérison qu’elle effectuait, comme dans le cas de la femme. Ne doutons pas qu’il peut encore, bien que nous ne l’approchions pas de manière sensible, nous donner la force de sa pureté et son incorruptibilité, comme il l’a promis, et cela d’une manière plus céleste et plus spirituelle que « dans les jours de sa chair » ; d’une manière qui n’enlève pas les simples infirmités de cet état temporel, mais sème les germes de la vie éternelle dans le corps et dans l’âme. Ne lui refusons pas la gloire de sa sainteté vivifiante, cette grâce qui se diffuse et renouvelle toute notre race, cet esprit assez vif, puissant et pénétrant pour faire lever toute la masse de la corruption humaine et la faire vivre. E est les prémices de la Résurrection : nous allons à sa suite, chacun à notre rang, selon que nous sommes stimulés par sa présence intérieure. Et en ce sens, dans la formule de l’Écriture, prise parmi d’autres, selon laquelle le Christ « est formé en nous », ce qui veut dire que communication nous est faite de sa nouvelle nature qui sanctifie l’âme et rend le corps immortel. De la même manière, nous prions pendant le service de communion que « nos corps pécheurs soient purifiés par son corps, et nos âmes lavées par son très précieux sang ; et que nous puissions habiter à jamais en lui et lui en nous (Lc 6,19 ; Mc 5,30)».

Tel est donc notre Sauveur ressuscité, en lui-même et pour nous : conçu par l’Esprit saint ; saint depuis les entrailles de sa mère ; mourant mais ayant en horreur la corruption ; ressuscitant le troisième jour par la vertu de sa propre vie inséparable ; exalté comme le Fils de Dieu et le Fils de l’homme, pour nous ressusciter à sa suite ; et nous remplissant d’une manière incompréhensible de sa nature immortelle, jusqu’à ce que nous devenions comme lui ; nous remplissant d’une vie selon l’Esprit qui peut chasser le poison de l’arbre de la connaissance et nous ramener à Dieu. Quelle merveilleuse œuvre de la grâce ! Il était étonnant qu’Adam pût être notre mort, mais il est bien plus étonnant encore, et c’est une grande grâce, que Dieu lui-même puisse être notre vie par le moyen de cette tente humaine qu’il a assumée lui-même.

O jour béni de la Résurrection qui, dans les temps anciens, était appelé la reine de toutes les fêtes, et faisait naître parmi les chrétiens un zèle plein de désir – on pourrait même dire batailleur -, de la célébrer avec l’honneur qui lui est dû. Jour béni, qui fut jadis vécu seulement dans la peine, lorsque le Seigneur ressuscita vraiment et que les disciples ne le crurent pas ; mais depuis lors jour de joie pour la foi et l’amour de l’Église! Dans les temps anciens, les chrétiens, partout dans le monde, commençaient ce jour par une salutation matinale. Chaque homme disait à son voisin : « Le Christ est ressuscité », et son voisin lui répondait : « Le Christ est vraiment ressuscité et il est apparu à Simon. » Oui, même pour Simon, le disciple lâche qui le renia trois fois, le Christ est ressuscité ; même pour nous qui, voilà longtemps, avons fait vœu de lui obéir et qui l’avons pourtant si souvent renié devant les hommes, et avons si souvent pris part au péché, avons suivi le monde quand le Christ nous appelait sur un autre chemin. « Le Christ est vraiment ressuscité, et il est apparu à Simon ! » À Simon Pierre, l’apôtre favori sur qui est bâtie l’Eglise, le Christ est apparu. Il est apparu à son Église sainte, avant tout, et, dans l’Église, il répartit des bénédictions telles que le monde n’en connaît pas. Bienheureux sont-ils s’ils ont reconnu leur bénédiction, ceux qui ont pu, comme nous le pouvons, semaine après semaine, et fête après fête, chercher et trouver dans cette Église sainte le Sauveur de leurs âmes ! Bénis sont-ils au-delà de tout langage et de toute pensée, ceux à qui il est accordé de recevoir ces témoignages de son amour qu’un homme ne saurait obtenir autrement, les gages et moyens de sa présence particulière dans le sacrement de son Repas ; ceux qui peuvent manger et boire la nourriture d’immortalité, et recevoir la vie du côté sanglant du Fils de Dieu ! Hélas ! Par quelle étrange froideur de cœur ou quelle étrange superstition perverse quelque homme appelé chrétien se tient-il loin du sacrement céleste? N’est-il pas bien triste qu’il puisse se trouver quelqu’un pour avoir peur de partager la plus grande bénédiction concevable qui puisse échoir aux hommes pécheurs ? En vérité, qu’est cette peur sinon le manque de foi, une obstination d’esclave épris du péché, puisqu’elle conduit un homme à cheminer, année après année, sans le soutien spirituel que Dieu a préparé pour lui ? N’est-il pas stupéfiant qu’il puisse, au fil du temps, apprendre délibérément à douter de la grâce qui lui est donnée là ? Qu’il puisse ne plus voir dans le Repas du Seigneur une fête céleste, ni dans le ministre du Seigneur qui le consacre un instrument choisi, ni reconnaître que l’Église sainte dans laquelle il accomplit son service comme un commandement divin, doit être aimée en tant qu’elle est le legs d’adieu du Christ à un monde pécheur ? N’est-il pas stupéfiant que, voyant, il ne voie pas, qu’entendant, il n’entende pas, et que, regardant avec légèreté tous les dons du Christ, il ne ressente aucune vénération pour le reliquaire dans lequel ils sont gardés ?

Mais nous-mêmes qui croyons que nous faisons la volonté de Dieu dans la mesure où nous gardons les commandements et les règles que son Fils nous a laissés, nous pouvons humblement nous réjouir en ce jour d’une joie que le monde ne peut pas enlever, pas plus qu’il ne peut la comprendre. En vérité, en ce temps de reproches et de blasphèmes, nous ne pouvons qu’être sobres et modérés dans notre réjouissance ; et cependant notre paix et notre joie peuvent être plus profondes et plus pleines justement à cause de cette gravité même. Car rien ne peut blesser ceux qui portent le Christ en eux, ni l’épreuve ni la tentation, ni le temps de la tribulation, ni le temps de la prospérité, de la souffrance, de la privation, de l’angoisse, de la peine, ni les insultes de l’ennemi, ni la perte des biens de ce monde, rien ne peut « nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur (Rm 8,39) ». Cela, l’Apôtre nous l’a enseigné il y a bien longtemps ; mais nous, à l’âge du monde où nous sommes, au moyen et au-delà de sa parole, nous avons l’expérience de plusieurs siècles pour nous consoler. Nous avons sa propre histoire pour nous montrer comment le Christ en nous est plus fort que le monde autour de nous, et l’emportera. Nous avons l’histoire de ses compagnons de souffrance, de tous les confesseurs et les martyrs des premiers temps et de la suite, pour nous montrer que le bras du Christ n’est pas « si court qu’il ne puisse sauver » ; que la foi et l’amour ont une place réelle et permanente sur terre ; que, quoi qu’il advienne, sa grâce est suffisante pour son Église, et que sa force est rendue parfaite dans la faiblesse ; que « même dans son grand âge et avec ses cheveux blancs, Il la portera et la délivrera » ; que, à quelque moment où les puissances du mal la défieront, les martyrs et les saints recommenceront et se lèveront d’entre les morts, aussi nombreux que s’il n’y en avait jamais eu auparavant, et même « les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus et de la parole de Dieu, et qui n’avaient pas adoré la bête ni son image, et n’avaient pas reçu la marque sur le front ni sur la main (Ap 20,4) ».

Pendant ce temps, tandis que Satan ne fait que nous menacer, soyons maîtres de nos cœurs dans la patience ; essayons de rester calmes : visons à obéir à Dieu en toutes choses, les petites comme les grandes ; accomplissons les devoirs de notre appel, qui sont là devant nous, jour après jour ; et « ne nous inquiétons pas du lendemain, car à chaque jour suffit sa peine (Mt 6.34)».

Bienheureux John Henry Newman, L’année chrétienne, vol 2, 13, Cerf 1993, pp. 128-136.